Les grands modèles linguistiques (LLM) comme GPT-4, Claude 3 ou Llama 3 ne sont pas programmés pour comprendre le langage. Ils l’apprennent - tout seuls - en lisant une partie immense d’Internet. Pas avec des corrections humaines, pas avec des réponses données à l’avance. Ils observent des milliards de phrases, devinent les mots manquants, et peu à peu, construisent une compréhension du monde à travers les mots. C’est ce qu’on appelle l’apprentissage auto-supervisé. Et c’est la clé de tout ce que vous voyez aujourd’hui dans les chatbots, les résumés automatiques ou les assistants de rédaction.
Comment ça marche, concrètement ?
Prenons une phrase simple : « Le chat dort sur le ____. »
Dans un système classique, un humain dirait : « La bonne réponse, c’est ‘canapé’. » Mais dans l’apprentissage auto-supervisé, personne ne donne la réponse. Le modèle voit la phrase avec un mot caché, et il doit deviner lequel était là avant. Il peut proposer : « canapé », « sol », « toit », ou même « girafe ». En comparant ses prédictions avec le mot réel (qui était « canapé »), il ajuste ses poids internes. Pas une fois. Pas cent fois. Des milliards de fois. Sur des milliards de phrases. C’est comme si vous lisiez tous les livres, forums, articles et messages d’Internet en même temps, et que vous essayiez de compléter chaque phrase que vous voyez. Avec le temps, vous commencez à comprendre comment les mots s’assemblent - pas seulement grammaticalement, mais aussi logiquement, culturellement, émotionnellement.
La technologie qui rend tout ça possible, c’est l’architecture Transformer, inventée par Google en 2017. Avant ça, les modèles traitaient les mots un par un, comme une liste qui s’étire. Avec le Transformer, tout le texte est analysé en même temps. C’est comme regarder une page entière d’un coup, au lieu de lire mot à mot. Cela permet d’apprendre des relations complexes : « chat » est lié à « dort », mais aussi à « animal », « maison », « peluche », « miauler » - même si ces mots ne sont pas dans la même phrase.
Quelle quantité de données ?
Les chiffres sont impossibles à imaginer. GPT-3 a été entraîné sur 300 milliards de mots. Llama 3, sorti en mai 2024, a utilisé 15 billions de mots. Pour donner un ordre de grandeur : un livre moyen contient 100 000 mots. Cela signifie que Llama 3 a lu l’équivalent de 150 millions de livres. Et ce n’est pas un tirage au hasard. Les données viennent de Wikipedia, de livres numérisés, de forums comme Reddit, de sites d’actualité, de code source sur GitHub - tout ce qui est accessible publiquement sur Internet. Mais avant de l’utiliser, les ingénieurs nettoient le tout : ils suppriment les doublons, corrigent les fautes de frappe, retirent les contenus illégaux ou toxiques. Même avec ce nettoyage, des biais restent. Un modèle peut apprendre que « médecin » est souvent associé à « homme », ou que « infirmière » va avec « femme ». Ces stéréotypes ne viennent pas du code - ils viennent des données. Et elles reflètent le monde réel, pas un monde idéal.
Combien ça coûte ?
Entraîner un modèle comme Llama 3 demande plus de 15 000 petaflops/seconde/jour. Pour simplifier : c’est l’équivalent de 15 millions d’ordinateurs puissants qui travaillent 24h/24 pendant plusieurs mois. Le coût énergétique est énorme : l’entraînement de GPT-3 a émis environ 552 tonnes de CO₂ - l’équivalent de 120 voitures qui roulent pendant un an. Ce n’est pas seulement une question de budget. C’est une question d’accès. Seules les grandes entreprises comme Meta, OpenAI ou Google peuvent se permettre ces coûts. Les petites startups ou les chercheurs indépendants ne peuvent pas entraîner leurs propres modèles depuis zéro. Alors ils utilisent les modèles déjà entraînés, et les affinent pour leurs besoins spécifiques. C’est ce qu’on appelle le fine-tuning.
Le fine-tuning : la clé pour rendre les modèles utiles
L’apprentissage auto-supervisé donne au modèle une compréhension générale du langage. Mais il ne sait pas encore répondre à une question précise comme : « Quelle est la dose recommandée d’ibuprofène pour un adulte ? »
À ce stade, il peut répondre n’importe quoi. Parfois, il invente des informations. C’est ce qu’on appelle les « hallucinations ». Pour corriger ça, on passe à la deuxième phase : le fine-tuning supervisé. Ici, des humains fournissent des exemples de bonnes réponses. On montre au modèle : « Question : Quelle est la dose d’ibuprofène ? Réponse : 200 à 400 mg toutes les 6 heures, maximum 1200 mg par jour. »
On répète ça des milliers de fois. Et peu à peu, le modèle apprend à aligner ses réponses sur des attentes humaines. Ce n’est pas magique. C’est du travail. Et c’est ce que font les entreprises : elles prennent Llama 3 ou GPT-4, et les affinent avec leurs propres documents internes - manuels techniques, FAQ clients, contrats juridiques. Selon une enquête O’Reilly de 2024, 68 % des entreprises utilisant des LLM les affinent pour leurs besoins spécifiques. Ceux qui réussissent le mieux combinent données de qualité + instructions claires + tests rigoureux.
Les limites réelles
Malgré leur puissance, ces modèles ont des failles profondes.
Le premier problème : ils ne savent pas ce qu’ils ne savent pas. Ils ne disent pas « Je ne sais pas ». Ils inventent. Une étude de l’Allen Institute for AI en 2023 a montré que 42 % des réponses données par les LLM sur des questions de santé ou de science étaient fausses - même quand elles semblaient convaincantes.
Le deuxième problème : ils copient. Une étude de 2023 a révélé que GPT-2 pouvait reproduire mot pour mot 0,1 % du texte de son entraînement. Cela signifie que si vous avez écrit un article original et qu’il a été inclus dans les données d’entraînement, le modèle peut le recracher. Sans crédit. Sans autorisation. C’est une question juridique en pleine évolution. L’Union européenne prévoit d’exiger, à partir d’août 2026, que les entreprises divulguent la source des données utilisées pour entraîner les modèles de plus de 10 milliards de paramètres.
Le troisième problème : les biais. Si les données contiennent des préjugés raciaux, sexistes ou politiques, le modèle les apprend. Pas parce qu’il est « mauvais ». Parce qu’il est trop bon à apprendre. Des chercheurs comme Emily Bender ont alerté dès 2021 : « Ces modèles sont des parrots stochastiques. » Ils imitent, sans comprendre. Et quand ils imitent mal, ils répandent la désinformation à grande échelle.
Le futur : plus de données ? Ou plus d’intelligence ?
Les géants du secteur continuent de grossir les modèles. GPT-5, attendu fin 2025, aurait 1 200 milliards de paramètres. Llama 4 devrait sortir en 2026. Mais certains pensent que la voie du « plus grand » est en train de s’essouffler. Les scores sur les tests de vérité - comme TruthfulQA - ont stagné. GPT-3 : 52 %. GPT-4 : 58 %. Ce n’est pas une révolution. C’est une lente amélioration.
Les nouvelles pistes ? Apprendre avec des images, des sons, des vidéos - pas seulement du texte. C’est ce qu’on appelle le multimodal. Google a déjà lancé Gemini 1.5 Pro avec une fenêtre de contexte d’un million de mots. Meta et OpenAI travaillent sur des modèles capables de comprendre un schéma, une vidéo, un son, et de les relier à du texte.
Autre piste : réduire la consommation d’énergie. Des chercheurs développent des méthodes pour entraîner des modèles plus petits, mais plus intelligents. Pas plus gros. Plus efficaces. Ce n’est pas une question de taille. C’est une question de qualité.
Que faut-il retenir ?
Les grands modèles linguistiques ne sont pas des génies. Ce sont des miroirs. Ils reflètent ce qu’ils ont lu. Et ils ont lu beaucoup. Beaucoup trop parfois. Leur pouvoir vient de l’échelle - de la quantité de données, de la puissance de calcul, de la patience des ingénieurs. Mais leur faiblesse vient aussi de là : ils n’ont pas de conscience, pas de jugement, pas de morale. Ils suivent des probabilités. Et parfois, ces probabilités sont dangereuses.
Leur apprentissage n’est pas magique. Il est mécanique. Il est coûteux. Il est imparfait. Mais il est réel. Et il change tout. Ce que vous utilisez aujourd’hui dans votre messagerie, votre assistant vocal, votre outil de rédaction - c’est le résultat de centaines de milliards de prédictions. Pas d’explications. Pas de compréhension. Juste des mots qui suivent d’autres mots. Et pourtant, ça fonctionne. Parfois mieux que nous.
Comment utiliser ces modèles sans se tromper ?
- Ne les croyez pas sur parole. Vérifiez toujours les faits.
- Utilisez des modèles affinés pour votre domaine. Un modèle général ne sait pas votre métier.
- Testez leurs réponses sur des cas limites. Que se passe-t-il s’il y a une ambiguïté ?
- Privilégiez les outils qui permettent de voir la source des données (si disponible).
- Ne confondez pas la fluidité avec la vérité. Un texte bien écrit peut être totalement faux.
Qu’est-ce que l’apprentissage auto-supervisé dans les modèles linguistiques ?
L’apprentissage auto-supervisé est une méthode où le modèle apprend à partir de données non étiquetées en devinant des parties manquantes du texte. Par exemple, il voit une phrase avec un mot caché (« Le chat dort sur le ___ ») et doit prédire le mot correct (« canapé »). Il ne reçoit pas de correction humaine - il apprend en comparant ses prédictions avec les mots réels dans les données. Cette méthode permet d’utiliser des milliards de phrases tirées d’Internet sans avoir besoin de les annoter manuellement.
Pourquoi les LLM ne peuvent-ils pas être fiables sans fine-tuning ?
Les modèles pré-entraînés apprennent à prédire des mots, pas à répondre à des questions avec précision. Ils n’ont pas de connaissance spécifique d’un domaine (comme la médecine ou le droit) ni de compréhension des attentes humaines. Sans fine-tuning, ils peuvent produire des réponses grammaticalement correctes mais totalement fausses - ce qu’on appelle des « hallucinations ». Le fine-tuning leur apprend à aligner leurs réponses sur des exemples humains de qualité, ce qui les rend utiles dans des contextes réels.
Quelle est la différence entre apprentissage auto-supervisé et apprentissage supervisé ?
L’apprentissage auto-supervisé utilise des données non étiquetées et crée ses propres « exercices » à partir du texte (comme prédire un mot caché). L’apprentissage supervisé, lui, utilise des paires données-réponses créées par des humains (ex : question → bonne réponse). Le premier est à grande échelle et peu coûteux en main-d’œuvre ; le second est précis mais nécessite beaucoup de travail humain. Les LLM utilisent d’abord l’apprentissage auto-supervisé pour acquérir une compréhension générale, puis le supervisé pour devenir précis dans des tâches spécifiques.
Les modèles comme Llama 3 sont-ils meilleurs que GPT-4 ?
Llama 3 et GPT-4 sont tous deux parmi les meilleurs modèles actuels, mais ils ne sont pas directement comparables. Llama 3 a été entraîné sur 15 billions de mots (plus que GPT-3), et il est open-source, ce qui permet aux développeurs de l’affiner librement. GPT-4 est plus intégré dans des systèmes comme Copilot et a été optimisé pour des tâches complexes comme la logique et la rédaction longue. Dans les tests techniques, leurs performances sont très proches. Le choix dépend de vos besoins : si vous voulez du contrôle et de la transparence, Llama 3. Si vous voulez une intégration fluide et un support commercial, GPT-4.
Pourquoi les modèles répètent-ils des contenus protégés par le droit d’auteur ?
Les modèles ne « copient » pas intentionnellement. Ils apprennent des motifs statistiques. Si un texte protégé est présent dans les données d’entraînement, le modèle peut le reproduire si la séquence de mots est très fréquente ou très distinctive. Une étude de Carlini en 2023 a montré que GPT-2 pouvait recracher 0,1 % du texte de son entraînement mot pour mot. Ce n’est pas un bug - c’est un effet secondaire de la façon dont ils apprennent. Les entreprises commencent à filtrer davantage les données, mais il n’existe pas encore de solution parfaite. C’est une question légale majeure, et les régulateurs (comme l’UE) exigent désormais la transparence sur les sources de données.